Apprendre à faire avec le réel ?

La chute dépressive peut-être un passage obligé pour apprendre à faire avec le réel. N’est-ce pas en tombant que l’on apprend à marcher ? On ne devrait pas considérer que ce soit bien ou mal mais plutôt qu’il s’agit d’une  » expérience de vie « . Il existe une faille dans le mode de fonctionnement psychique qu’il faut traiter et il est possible d’y réussir.

Il est nécessaire de faire grandir les capacités à se détacher de « ce qui était », de trouver en soi de nouveaux appuis pour y parvenir. Et pour cela une aide peut s’avérer nécessaire, c’est l’objet de ce second article.

Peut-être faut-il en premier lieu accepter d’être tombé pour se relever. Si le sujet qui est à terre peste, râle, rumine de se retrouver en telle posture, c’est toute une énergie déployée qui ne pourra être utilisée pour se remettre debout et servira à rester au sol, à s’en plaindre et à entretenir un cercle vicieux.

Comment se relever ?

Chaque situation de soutien thérapeutique est différente, mais on peut identifier quelques processus psychiques qui conduisent à une issue favorable. Quoiqu’il en soit, ils nécessitent pour se produire une grande relation de confiance avec le thérapeute.

Reconnaissance de l’état dépressif

C’est souvent en admettant la chute et l’impossibilité de se relever seule que la personne peut accepter de demander de l’aide.

La reconnaissance de la l’état dépressif est indispensable. C’est déjà un début d’acceptation : de la condition de souffrance liée à la perte « d’objet », de la perte d’illusions, de la vulnérabilité.

« C’est vrai que depuis la mort de mon frère, je n’y arrive plus. Ça ne peut pas continuer comme ça. »

« Il faut reconnaître que depuis que j’ai été mis au placard dans cette entreprise, je suis devenu une loque. Et ça ne s’arrange pas avec le temps, au contraire. Alors j’ai envie de faire quelque chose pour que ça aille mieux. Mais je ne sais pas  comment. »

Transformation 

L’enjeu est de briser la boucle (tristesse-idées obsédantes-culpabilité-perte d’estime-absence de désir…) dont nous avons parlé dans l’article précédent.

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Il s’agit de surmonter la blessure, de conserver l’estime de soi malgré la douleur de la perte, et, de retrouver de l’élan de vie progressivement, même si cela prend du temps.

Confiance, acceptation graduelle et prise de conscience

Rassurée par la relation de confiance établie avec le/la psychologue, la personne pourra, exprimer les illusions perdues, l’arrachement vécu, les pensées négatives obsédantes ainsi que la culpabilité, la colère, la perte d’estime de soi… En explorant l’éprouvé lié à la perte, elle en sondera les racines et percevra mieux ce que la perte lui fait vivre. L’ « objet perdu » sera ainsi dépossédé de son statut de « cause » de la blessure.

Nouvelles perspectives

Finalement, au cours de ce cheminement, émergeront les valeurs fondamentales du sujet, les attendus qui donnent du sens à sa vie. Cette élaboration conduira au renouveau, autorisant la continuité.

« Je faisais tout avec mon frère. Ce que j’aimais avec lui, c’était la sensation d’être ensemble. Je ne vois pas comment je pourrai retrouver cela avec quelqu’un, mais je me rends compte que j’ai besoin de cet être ensemble. »

« Sans mon travail, je ne suis personne. J’ai tout donné pour ça, tout construit autour. J’ai besoin de donner. Je ne sais pas ce que j’ai d’autre à donner. Il faut que je trouve… 

Ce type de réflexion constitue un point de départ pour un nouveau parcours et d’autres explorations.

De nouveaux appuis

Le récit dans le contexte de l’échange thérapeutique permet d’acquérir du recul et une autre vision de la situation de chute, suffisamment acceptable pour envisager des possibles.

Il y a alors lieu de retrouver des appuis et repères pour vivre ces autres possibles.

« Dans une relation d’amitié, c’est difficile. Ce n’est jamais aussi proche que dans la relation que j’ai connu. Je ne peux m‘empêcher de comparer. Mais quand je vais au groupe d’écriture, je ressens cet être ensemble avec les personnes qui sont là avec moi.»

« Pour que j’ose encore donner, j’ai d’abord besoin de me protéger, de connaître mes limites. A partir de quand je m’use ? Qu’est-ce qui m’use ? 

Il est souvent nécessaire comme dans l’apprentissage de la marche, d’accepter l’idée de tomber encore avant de pouvoir marcher correctement. Là encore, c’est le ressenti qui va guider et conduire à établir l’orientation du mouvement,  l’intensité de l’énergie nécessaire pour se mobiliser. Une juste posture indiquera de précieux repères qui, au fil des évènements permettent de tracer un chemin et de maintenir l’équilibre.

« Je disais que j’ai besoin d’un « être ensemble ». Mais ce n’est pas facile. Cela me confronte à supporter que d’autres n’aient pas envie de la même chose ou pas comme moi et alors je me sens tout seul. Mais si je ne me sauve pas, si je ne les juge pas, si je ne me laisse pas aller à la tristesse, ce n’est pas perdu car il y a d’autres moments de proximité. Et finalement se tisse un lien qui nous rapproche même quand on ne fait pas les choses ensemble. »

« En fait, je me rends compte que ce désir de donner est vraiment maladif ! Je crois surtout que ça me rapporte une « bonne image de moi ». C’est comme ça que j’ai appris la vie. Mais je commence à découvrir que je peux avoir une bonne image de moi autrement. Quand je dessine par exemple. C’est bon de ne plus être « obligée de donner » pour être bien. Peut-être que j’arriverai à « donner naturellement », en étant juste ce que je suis ? »

Ce processus ne se produit pas en un instant et peut nécessiter un temps long.

C’est donc par l’acceptation de la situation, en identifiant ce que la perte a blessé en soi, et grâce à la capacité retrouvée d’observer et ressentir le pénible comme l’agréable que la vie se réinstalle. Des perspectives nouvelles s’expriment, les élans reviennent et guident à condition de se baser sur « ce qui est possible » maintenant, avec le réel,  et en intégrant des étapes.